La pêche est primordiale pour les femmes des communautés de pêcheurs établies le long de la côte béninoise dans les départements de l’Ouémé, du Littoral, de l’Atlantique et du Mono. Mareyeuses, revendeuses, transformatrices ou encore fumeuses de poisson, elles font face cependant, depuis un certain temps, à la rareté du poisson. En plus des changements climatiques, certaines techniques de pêches destructrices, comme le chalut-bœuf plombent leur quotidien.
Port de pêche de Cotonou. Marius Hognougbé, 45 ans, pêcheur depuis 10 ans, assis à même le sol, se lamente en arrangeant ses filets entrelacés. « Mes activités sont désormais infructueuses. La pêche n’est plus rentable comme avant », enchaîne-t-il, complètement découragé. Ce fils de pêcheur, qui lui aussi a choisi de vivre de cette activité, désespère. Issu d’un foyer polygame, il explique que c’est pourtant grâce à la pêche que ses parents ont pris soin de toute leur famille.
Dieudonné Bokovi, cet autre pêcheur, marié, père de 4 filles, renchérit : « Quand nous allions en mer, nous revenions avec de belles prises. Aujourd’hui nous pouvons faire deux jours avant de rentrer, et le plus souvent bredouilles ». Il poursuit en précisant que depuis trois mois environ, il n’a plus fait « plus de 5 000 francs CFA » de bénéfices.
Béatrice Tossi, quant à elle appuie. « Avant, c’était la belle époque. On avait assez de poisson et nos activités étaient florissantes. Depuis quelques années, plus rien ne marche. Nous sommes obligées de nous rabattre sur du poisson importé que nous vendent des particuliers. Ça coûte cher». Cette revendeuse de poisson frais au port de pêche de Cotonou, autrefois fumeuse de poisson à Placodji, se lamente aussi. Sur les causes de la rareté du poisson, elle indexe certaines mauvaises pratiques de pêche. « Notre plus grand danger provient de certains pêcheurs Toffins (une communauté établie sur le lac Nokoué depuis des lustres) qui ont des méthodes destructrices ».
A Togbin, un village de l’arrondissement de Godomey, dans la commune d’Abomey-Calavi, le constat est le même. Dame Béatrice Ganmado est fumeuse de poisson à Togbin-Houta. Dans son habitation érigée sur la plage en matériaux précaires, sans accès à l’eau courante ni à l’électricité et encore moins à l’assainissement des eaux, elle a réussi à aménager un espace couvert pour fumer ses poissons. Ses équipements sont rudimentaires. Ce jour-là, seuls deux de ses cinq foyers fonctionnent. Les autres, sont au repos faute de poisson. Dans une fumée suffocante, cette mère de famille, d’une minceur frisant la maigreur déplore un manque à gagner énorme. « C’est difficile de joindre les deux bouts. La taille et la quantité des poissons ont diminué. Je dois jongler pour pouvoir nourrir mes quatre enfants. Nos époux ne ramènent plus beaucoup de poissons quand ils vont en mer».
Un rôle-clé
La pêche joue un rôle clé dans l’économie nationale du Bénin. Le Plan national d’investissements agricoles et de sécurité alimentaire et nutritionnelle de seconde génération (PNIASAN, 2017-2021), précise que la filière poisson occupe 15% de la population active totale et 25% de la population active du secteur agricole. Incontournables dans la chaîne, les femmes jouent un rôle pivot dans la transformation, le mareyage, le micro-mareyage et la commercialisation du poisson. L’Union économique ouest-africaine, précise qu’environ 1790 femmes sont actives dans le sous-secteur de transformation de poisson frais en poisson fumé au Bénin.
Pour Paul Sehouhouè, conseiller municipal à la mairie de Cotonou, président de la Commission des affaires sociales et sportives, « la femme est à l’amont et à l’aval de la survie des familles. C’est elle qui fournit les intrants de pêche, finance les engins. C’est aussi elle qui s’occupe de la nourriture et de la scolarité des enfants au sein du ménage ». Mais « depuis plusieurs années, cette filière est confrontée à des difficultés qui impactent négativement le quotidien des acteurs, et par ricochet celui des Béninois », fait savoir Victor Ahomlanto, chef du service de la division Post-capture à la direction des pêches du ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche (MAEP).Le poisson se fait rare et cher et les femmes ne sont pas épargnées en raison de la menace que fait planer cette situation sur leurs activités. Françoise Houssa du centre de fumage de poissons et de crevettes de Placodji à Cotonou, crie son ras-le-bol en gesticulant. « La mère n’est plus généreuse comme dans le passé. C’est le peu dont nous avons accès que nous fumons. En plus, le prix du poisson varie du jour au lendemain ». Cette fumeuse de poisson poursuit : « Il m’arrive d’acheter du poisson un jour et d’être incapable de le faire le lendemain tant les prix varient et se font exorbitants».
Du côté des revendeuses de poisson frais, les choses ne sont pas meilleures. «Quand on a la chance d’avoir du poisson, on se met à plusieurs pour pouvoir l’acheter car il coûte cher et les prises ne sont pas de grande quantité. Il arrive aussi que nous rentrions bredouilles. On n’y peut rien», se désespère Bernadette Bobolé, une mère de famille. D’après les propos de cette femme de pêcheur installée à Togbin, jusqu’au milieu des années 90, la bassine (30 à 50 litres) de poisson se négociait jusqu’à 20 à 25.000 FCFA, tout au plus, selon la taille et le type de poisson. « Aujourd’hui on peut débourser jusqu’à 80.000 francs et même plus ».
Le chalut-bœuf, le cancer des mers
En dehors des aléas climatiques dont ils reconnaissent les impacts négatifs sur leurs activités, les pêcheurs pointent du doigt les engins et techniques prohibés utilisés par d’autres pêcheurs. C’est le cas du chalutage à bœuf. La technique consiste, pour deux pirogues, de tirer un seul et même filet. Elle permet de ramener de grandes quantités de poissons, mais aussi des prises immatures, des alevins. «On se met dans deux pirogues différentes et on tire le filet sur une distance donnée. On arrive à avoir beaucoup de poisson» explique Hounsa K. un Toffin de Houédo-Aguékon dans la commune de Sô-Ava et adepte de la technique depuis plusieurs années. Pour Rufin Agblo, président de l’Association de développement et de la gestion rurale d’Adounko, à Avlékété, dans la commune de Ouidah à une quarantaine de Cotonou, le danger de cette technique réside dans le fait qu’elle emporte tout sur son passage. «Ils encerclent les poissons et ramassent tout, au point où les poissons ne se multiplient plus, ce qui met en danger la durabilité de la ressource ». Natif d’Avlékété, René Idohoun lui, met en cause, en plus des techniques et engins prohibés, la pression exercée par l’ensemble des pêcheurs, sans distinction, sur la mer. « Il faut que l’Etat prenne ses responsabilités en régulant la pêche ».
Sur cette question, des enquêtes exploratoires menées en octobre 2020 par l’Ong Eco Bénin auprès des populations côtières ont mis en exergue l’inquiétude des pêcheurs de Cotonou et Ouidah au regard de la poussée démographique qui engendre l’augmentation du nombre de barques et de pêcheurs.
Le coordonnateur d’Eco-Bénin, Gautier Amoussou, préconise le respect de la règlementation. L’article 42 du décret du 25 juillet 2018 fixant les conditions et modalités d’exercice de la pêche, stipule « qu’il y est interdit,…tout engin traînant attaché à une ou deux embarcations qui capturent les mysidacés et toutes autres espèces rencontrées sur son passage ». Mieux, depuis 2006, un arrêté interdit la pratique du chalutage à bœuf dans les eaux maritimes sous juridiction béninoise.
Pour Gautier Amoussou, il importe que chaque acteur respecte la réglementation et les lois en vigueur, et que les autorités garantes jouent leur partition. Il propose aussi le renforcement du dispositif de surveillance et de suivi au niveau de la côte par les acteurs assermentés.
Des petits jobs pour la survie
En définitive, la situation des femmes des communautés des pêcheurs préoccupante, nécessite de trouver des portes de sortie. Pour faire face aux charges familiales, certaines femmes trouvent des solutions alternatives. Bernadette Agbadéagba à Togbin-Houta, exerce des jobs périodiques. Elle se rend chez des particuliers pour des travaux domestiques ou sur des chantiers de construction pour se proposer comme manœuvre. D’autres encore se constituent en association et se spécialisent dans le maraichage. C’est le cas des groupements de femmes d’Adounko, un village d’Avlékété, qui ont fait de la tomate, du piment, de la pastèque leur spécialité. Monique Apithy Quenum, quinquagénaire, mère de six enfants, s’est ainsi reconvertie dans la culture de la tomate qu’elle écoule dans les marchés.
Flore NOBIME