Les parturientes sont sujettes à beaucoup de violences en milieu de naissance, causes profondes des morbidités graves, des décès marternels et néonatals. Dans cette interview, la sage femme Annick NONOHOU AGANI, parle des droits de la femme en travail et du naissant pour un accouchement sécurisé et lance un appel aux décideurs ainsi qu’à ses collègues sages femmes sur l’importance du respect des droits humains et des principes de la médecine basée sur l’évidence en milieu de naissance. Elle est juriste en droits humains, experte en droit de la santé, démocratie sanitaire et modèle humaniste des soins, lanceuse d’alerte sur les pratiques médicales nocives et sur les violences obstétricales, présidente fondatrice du Réseau des Soignants Amis des Patients (Rsap).
Les femmes pour la plupart adoptent la position gynécologique pour l’accouchement. Une position qui serait dangereuse pour la parturiente et le foetus. Expliquez-nous en quoi elle est dangereuse ?
La position la plus connue pour accoucher est ce que l’on appelle la position gynécologique, c’est-à-dire allongée sur le dos, les pieds étriers. Il faut que le dos soit bien à plat. Le bassin est basculé, les genoux ramenés vers soi. Quant aux méfaits de cette position encore appelée lithotomie, on pourrait dire qu’il est un tueur silencieux et dangereux tant pour la femme en travail que pour son foetus.
Au niveau de la mère, la position couchée sur le dos entraîne la plupart du temps une augmentation de l’intensité de la douleur des contractions utérines, une forte compression de la veine cave, un déplacement antérieur de la moelle épinière par mise en tension de la dure-mère, un étirement des vaisseaux spinaux, des lésions du nerf fémoral et sciatique, la destruction du nerf saphène, une lenteur du travail par intolérance posturale, une diminution de la force de poussée, une hémorragie de la délivrance, etc.
Chez le foetus, il provoque un risque accru de souffrance foetale par réduction du débit sanguin de l’utérus qui compromet la vascularité, un gène au retour veineux foetal, un engagement et une descente difficile et un risque accru de mort in utero ou de mortalité néonatale ou de séquelles neurologiques irréversibles. L’accouchement quand il est mal fait peut être plus tard la source de nombreux maux voir de mortalité.
Quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour un accouchement sécurisé ?
Pour un accouchement sécurisé, il faut:
– Les soins prénatals intégrés humanisés, respectueux et centrés sur la personne.
– Un accouchement sans violence (jouissance effective des droits humains en général et des droits et libertés individuels en particulier durant la grossesse, le travail d’accouchement et l’accouchement ( parturiente -naissant-conjoint).
– Le respect des normes actualisées fondées sur les droits humains, la philosophie obstetricale de l’ICM et la science du moment/médecine basée sur l’évidence (accès du conjoint en salle de naissance, liberté posturale, liberté d’alimentation, liberté de mouvement, liberté de religion, liberté de pensée, d’opinions et d’expression, respect du consentement, fiche 3 A et journal d’accouchement satisfaisanst, expérience positive de l’accouchement ,redevabilité, etc).
– La mise en œuvre des pratiques obstetricales alternatives et humanistes (entretien prénatal précoce, Éducation Prénatale Naturelle, préparation à la naissance et à la parentalité, Visite guidée en salle de naissance, massage périnéal, musicothérapie, hydrothérapie/bain de dilatation, aromathérapie, sexualité thérapeutique, thérapie de la lumière, du rire et du miroir, psychophonie, hapttonomie, free style, etc)
– La disponibilité d’outils, de matériels et d’équipements d’humanisation de l’accouchement (tatami,ballon prénatal, baignoire de dilatation,liane de suspension, échelle murale,miroir obstétrical,chaises de bien être,chaise balance,tabouret troué, ,chaise à remorque, lumière halogène, panneau free style ,casque à musique, appareil photo/vidéos etc)
– L’absence de pratiques nocives (violences obstétricales : refus d’admission de la patiente au motif de manque de place, défaut de soins pour ordonnance médicale non honorée, position gynécologique/accouchement en position dorsale, rasage, sondage vésical, épisiotomie, césarienne abusive ou de convenance, extractions instrumentales telles que le forceps et la ventouse, expression abdominale, défaut de consentement, non respect du projet de naissance sans contre indication scientifique avérée, interdiction de boire ou de manger durant le travail d’accouchement,non jouissance de liberté posturale, refus d’admission du conjoint en salle de naissance ou au bloc opératoire, non utilisation de la fiche d’assistance et d’accès de l’accompagnateur en salle de naissance, non élaboration du journal d’accouchement, séparation de la mère et du nouveau -né, non mise en exéat de la mère pour défaut de paiement de factures, absence de déclaration de naissance surtout chez les couples lesbiennes, etc.)
– Un accoucheur qualifié, résilient, bien formé, bien équipé, bien soutenu, humaniste, compétent, actif au sein des organisations professionnelles et maîtrisant les pratiques novatrices et respectant les droits humains, environnement de travail sain, humanisé, motivant et respectant la dignité humaine.
Dans la plupart des cas, on constate que ces conditions ne sont pas réunies. Il s’agirait alors d’une violation de droits de la parturiente et du naissant ?
Les parturientes ont dix droits fondamentaux. Le droit à l’information, le droit d’accès, le droit de choix, le droit à la sécurité, le droit à la confidentialité et au secret professionnel, le droit au confort, le droit à la dignité, le droit à l’assurance et aux avantages sociaux, le droit à la continuité des soins, le droit d’exprimer son opinion. Quant au naissant, il a le droit de bénéficier pendant la grossesse d’un milieu écologique adéquat, le droit de naître à son temps et à son heure, le droit à la vie, le droit à l’intégrité, le droit aux soins médicaux de réadaptation et de prévention de la qualité, le droit à la nutrition ( allaitement maternel exclusif et autres), le droit à une bonne identification (brassard), le droit à la dignité, le droit d’être enregistré à la naissance (Maternité), le droit à une déclaration de naissance (Mairie dans un délai de 30 jours), le droit à une filiation et à une nationalité, le droit de demeurer avec sa mère.
Mais est ce que ces droits sont ils respectés ?
Actuellement, ces droits ne sont pas respectés. Ils sont pour la plupart niés par les soignants en général et les sages femmes en particulier qui persistent dans l’application des normes historiques nuisibles pour la santé malgré la disponibilité du guide béninois de la classe des mères, du guide de l’OMS pour une expérience positive de l’accouchement, malgré leur incorporation aux cartes maternelles de suivi prénatal et perpartum.
Pourquoi c’en est-t-il ainsi ?
Ces droits ne sont pas respectés car ils sont méconnus par la majorité des professionnels de santé. De plus, les pratiques alternatives humanistes fondées sur les droits humains ne sont pas enseignées en formation initiale car ne faisant pas explicitement partie des curricula de formation, des recommandations pratiques cliniques et des protocoles affichés en salle de naissance. Les laboratoires de compétences des écoles de formation et les salles de naissance en Afrique ne sont pas équipés en matériels et équipements d’humanisation de l’accouchement nécessaires pour la mise en œuvre d’un accouchement sécurisé.
Que faut-il faire pour corriger ce tableaux ?
Étant donné que la violation des droits humains en milieu de naissance entraîne la récurrence des violences obstétricales, causes profondes des morbidités graves, des décès maternels et néonatals évitables et qu’il est scientifiquement démontré que c’est l’éradication des pratiques nocives, la suppression du patriarcat médical et la promotion du respect des droits humains qui pourraient susciter l’amélioration de la qualité des soins obstétricaux et néonatals, il est serait opportun d’institutionnaliser le modèle humaniste des soins et d’enseigner les pratiques alternatives humanistes fondées sur les droits humains dans les écoles de formation de santé afin que l’accouchement sans violence et sécurisé soit une réalité.
Quels appels avez vous à lancer aux décideurs à ce propos ?
Mon appel aux décideurs, c’est non seulement de prendre en compte nos multiples plaidoyers relatifs à la prévention, l’élimination et à la répression des violences faites aux femmes, aux sages femmes et aux aides-soignants mais aussi de renforcer le capital humain, d’améliorer l’environnement du travail et de motiver les soignants modèles.
Outre les décideurs, vos collègues ont certainement aussi une responsabilité pour le respect de ces droits.
J’attire l’attention de mes collègues sages femmes africaines sur l’importance du respect des droits humains et des principes de la médecine basée sur l’évidence en milieu de naissance et sur le fait que la profession SAGE FEMME est une profession médicale à responsabilité définie qui rend la Sage femme responsable de ses actes médicaux. Donc elles ont intérêt à ne pas se détacher de leur sagesse. Elles doivent éviter au maximum de commettre des infractions et surtout des fautes personnelles, du fait que les risques médico-légaux sont en nette ascension et que la sinistralité en matière de gynécologie obstétrique est très grande.
Réalisée par Dieudonné MEGBLETO