A l’école primaire publique Gobada dans la commune de Savalou, les enfants mangent avec de « gros morceaux de viande » à la cantine scolaire. C’est de la viande de poulet et de pintade provenant de la basse-cour de l’école riche aujourd’hui de près de 150 têtes de volailles. En chef d’orchestre de l’expérience qui a commencé en 2019 dans cette école se trouve le directeur du groupe A. Rodrigue Béhanzin a le langage des volailles. Dans cette école, il suffit de son cri spécifique pour rassembler toute sa « famille volaille » autour de lui. Mais attention ! S’il y a un étranger à côté, ces oiseaux notamment les pintades, sont méfiants. L’instituteur néophyte dans l’élevage il y a quelques années en est devenu aujourd’hui un expert. Ceci, au bout de 5 ans de sacrifices diverses avec l’implication de ses enfants. Dans l’après-midi de ce lundi 17 juin 2024, en dépit des travaux de fin d’année scolaire dont ceux relatifs à la phase de correction des épreuves du Certificat d’étude primaire (CEP), il trouve quand même du temps pour nous parler de sa seconde passion. Dans sa tenue locale ‘’Dashiki’’, « Papa poulet », « directeur poulet » ou « docteur poulet » comme certains le surnomment, nous expose quelques lignes du succès de cette unité d’élevage en termes d’initiative de pérennisation du Programme national d’alimentation scolaire intégré (PNASI) au Bénin. Interview.
Votre école se démarque par le succès de l’unité d’élevage de volailles installée pour alimenter la cantine scolaire. D’où est partie l’inspiration ?
C’est en 2019 que nous avons commencé. Quand la cantine est venue, c’est l’ancien médiateur Nestor Houndété, le premier que j’ai connu qui, sur demande du PAM, est allé me rencontrer pour me dire qu’il serait bon de mettre sur pied une unité d’élevage pour accompagner la cantine scolaire. Nous faisions déjà le jardinage. Donc en plus des produits maraîchers, on aura aussi des protéines animales. J’ai d’abord hésité me demandant si nous pourrons vraiment réussir à concilier le travail en classe, le jardinage et l’élevage. Il m’a convaincu qu’avec un peu d’effort nous arriverons. Mes collaborateurs et moi, nous avons essayé de mûrir nos idées sur par où commencer. Il fallait d’abord apprêter un local. Pour la basse-cour qui est là, c’est jusqu’à Salavou on est allé pour payer les chutes de bois pour 15.000 F Cfa et 16 feuilles de tôle de deuxième main à 1000 francs l’unité. J’ai envoyé mes maîtres vers les camps peulhs pour acheter des jeunes poulets, ce n’était plus à l’étape de poussin. Le même jour, on a pris aussi un coq et 15 poules. On a tenu après, une AG –Assemblée générale, ndlr- pour expliquer le bien fondé de l’initiative à la communauté. Ce même jour, un parent a décidé de nous donner deux poules. Le directeur du groupe B, un natif du milieu, nous en a donné 5. C’est ainsi que nous avons démarré.
Il fallait certainement le soin et le suivi. Quel a été votre secret alors que vous n’aviez pas d’aptitude en la matière ?
Je me débrouillais. Pendant les vacances, il y a quelqu’un qui a organisé une formation de 4 jours -2 jours pour le jardinage et 2 jours pour l’élevage-. J’ai payé pour y participer. Il nous a donné des bribes de connaissance. Comme j’avais commencé, je vivais déjà les difficultés de terrain. Donc, quand il donnait les notions, je souriais, je trouvais les solutions à mes difficultés. J’ai saisi donc les produits qu’on nous a indiqués ; j’ai commencé par appliquer. J’ai essayé aussi de me faire ami à un vétérinaire du milieu. Lui, il vient me donner quelques notions sur le soin. C’est ainsi que l’initiative a commencé par se développer.
Votre inquiétude au départ, c’était comment concilier élevage, jardinage et classe. A la pratique désormais, que faites-vous ?
Ce n’est pas facile. Pour l’élevage, les matins très tôt avant 8h, les élèves et l’un de mes enfants ici m’aident. On sort les abreuvoirs, on les remplit d‘eau puis on met les provendes dans les mangeoires avant d’ouvrir les portes des poulaillers. Les volailles sortent pour manger. A midi, les élèves m’aident aussi à les nourrir. Les soirs vers 17h, on leur donne encore de provende. La nuit, je suis toujours là. Jusqu’à 23h, 24h, je suis toujours dans le poulailler. Il faut compter tout ; il faut voir quelle poule a couvez le jour là ; il faut marquer chaque œuf ; il faut voir les œufs qui sont féconds, etc.
Lorsque les œufs arrivent à éclosion, je ne les laisse pas. Je ramasse les poussins le même jour. Je les envoie dans une poussinière chez moi à la maison. Avec mes enfants, on fait un système de chauffage dans une caisse de moto. C’est lorsqu’ils grandissent un peu que je les envoie dans la basse-cour à l’école. Chemin faisant, on a pensé aux pintades. Il faut grandir la basse-cour. On a été acheté les œufs de pintade chez les villageois. Quand les pintadeaux aussi sortent de l’œuf, je les ramasse et c’est le même système de chauffage, seulement que les pintadeaux ont plus besoin de chaleur que les poussins.
Qui est-ce qui s’en occupe pendant les vacances ?
C’est une charge pour le directeur et ses enfants parce que les maîtres vont en vacances. A cause de ceci, depuis un temps, je n’arrive plus à voyager pour aller en vacances. Je reste ici. Si je dois même faire une ou deux semaines quelque part, j’instruire mes enfants. De là-bas on est toujours en communication. Un jour, ils ont dit « quand papa appelle, il ne demande pas comment les enfants se portent, c’est les poulets il demande ». (rire).
5 ans déjà que vous faites tout ceci. Quelle est l’utilité ?
Cette unité d’élevage permet à nos écoliers de consommer de protéine animale. Ce n’est pas tous les jours. On tient compte de l’effectif des classes. Tout au début, tout le monde mangeait ensemble jusqu’à la maternelle. Mais si on continuait à faire nourrir tout le monde au même moment, nous allons vite finir avec les têtes. Donc quand on tue 4 ou 5, on prépare la sauce pour toute l’école mais les morceaux de viande sont servis à une seule classe ; les autres prennent des fretins. On le fait par rotation une semaine ou deux semaines jusqu’à servir toutes les classes jusqu’à la maternelle. Vers la fin de l’année, on sert tout l’établissement.
Y-a-t-il une partie que vous vendez ?
Il fut un moment, j’avais des difficultés financières. Pour nourrir les volailles, je vais à Savalou pour acheter les ingrédients de provende. J’achète aussi du maïs chez les producteurs. J’achète aussi les produits vétérinaires. C’est surtout ces produits. L’année dernière, j’ai connu un peu de retard dans le traitement et j’ai perdu un peu plus de 100 têtes de poulet à causse de la maladie de Newcastle. Donc par moment, je vends quelques têtes, deux ou trois pour accompagner la charge des produits, mais c’est rare.
Vous détenez pratiquement toute la commande de l’initiative. Que deviendrai cette basse-cour après vous ?
Nous n’allons pas partir le même jour, le directeur et tous ses collaborateurs. Je n’irai pas avec les volailles. Celui qui va me remplacer, s’il est ouvert et humble, je crois que les maîtres vont l’aider à relever le défi et ils vont continuer.
Par Blaise Ahouansè